S’il est un tant soit peu honnête avec sa libido, le petit occidental au teint laiteux se voit tenu de s’avouer une nette sympathie envers la féminité du maghreb. Les yeux bruns de Najma, la peau ocracée de Karima, la croupe délicieuse de Sophia, ont tôt fait de réveiller la dextérité chevaleresque qui sommeillait en lui. Pour peu que ce garnement assoiffé de soleil travaille sur un plateau téléphonique, il s’émerveillera alors devant une myriade de Shérazade batifolant aux alentours, et sera en proie à un terrible mal…le priapisme. Cependant, nul besoin de se rendre chez son généraliste le lendemain, la médecine arabe saura lui livrer son médicament sur un plateau d’argent…
Lorsque la rame de métro s’arrête à Pont-de-Bois mon regard s’illumine : une petite Cléopâtre à l’air mutin attend sur le quai. Je frissonne. Non elle ne resplendit ni d’intelligence, ni de bonté, mais l’œil avisé du philosophe entrevoit immédiatement qu’elle est de taille à ce qu’il l’ensemence de sa vertu. Sans compter que son doux visage ne lui est pas inconnu : soit ils se sont croisés dans l’Eternité, soit ils travaillent dans la même boîte.
Elle monte, je bave, elle me regarde, je lui glougloute un sourire, elle me le renvoie …elle va à l’autre bout de la rame ! Quelle humilité!
Il est certain qu’elle a vu un éclair de timidité traverser l’âme séductrice du lion aryen, et s’en est allée plus loin de peur que sa belle chair frétillante n’entache mon verbe serein. J’apprécie.
Je sors du métro fermement décidé à lui parler, la volonté arc-boutée pour dominer mes élans d’indécision dus à son charme grandissant ; elle est déjà en haut de l’escalator ! Me fuit-elle ?
Teste-t-elle ma détermination ? Il est certain en tout cas que le fauve ne se rend pas.
On se retrouve une minute plus tard, on prend l’ascenseur ensemble…
La porte à peine ouverte elle se précipite à l’intérieur et se regarde dans le miroir immaculé. Les mauvais-esprits n’y verront que la preuve d’un narcissisme exacerbé et nauséabond. Il n’en est rien. Car qu’est-ce que se regarder dans la glace ? Être face à soi ? Se complaire dans une naïve objectivation de soi ? Non, pas ici.
Elle est moins face à elle qu’à la place de l’autre, et l’autre en l’occurrence c’est moi . On ne s’est pas même échangé un mot qu’elle m’offre la plus belle marque d’amour qui soit. Elle sacrifie sa dignité pour me faire grandir, en la voyant se regarder je m’observe en train de la regarder ; c’est moi désormais qui suis face au miroir ! Et comme je suis ridicule, béat d’admiration devant cette beauté fardée d’artifices et de suffisance ! Mes pommettes rougissent de honte, je me courbe et descend au deuxième étage.
Sans prononcer une parole, cette psychanalyste d’exception m’avait guéri de mon infantilisme, de mon attrait déraisonné vers les peaux bronzées, de mon désir pour sa beauté d’hôpital. Mais elle m’a également soigné de mon infection d’orgueil qui commençait à me putréfier. Cinq minutes auparavant je m’apprêtais à faire le beau en l’arrosant de banalités outrancières, de son côté elle bannit sa fierté pour m’insuffler une vérité des plus profondes !
Promis j’en ai terminé avec mes velléités patriarcales aux humeurs de naphtaline, la femme est définitivement l’avenir de l’homme…
Et dire que je ne l’ai même pas remerciée !