Nous, nous sommes nous, un petit coin de banlieue perdu au milieu des affaires de gros sous des cols blancs du football, un petit coin de paradis qui se contente de faire la fete quand on lui en donne le pretexte, un petit tour d'enfance au pays des grands sages.
Nous avons au fond des yeux les coups de poing amers que la vie réserve à tous, à certains en priorité, nous avons envie de crier et de danser, de libérer les rythmes africains qui battent sous notre peau, trop longtemps enfermés, jamais oubliés.
Nous, nous voulons etre aimés!
Et gagner!
Petits on jouait les pieds nus sur des terrains de fortune, il nous fallait penser à l'école aussi, le soir on s'endormait des applaudissements plein les yeux, serrés les uns contre les autres, chez nous c'est toujours trop étroit, les fils ne restent pas uniques longtemps, de l'autre coté de l'océan des gamins qui nous ressemblaient tiraient dans des paniers en parlant en anglais, eux aussi ils devaient penser à l'école, leurs mères y tenaient.
A table!
Vers midi elle nous cassait le jeu, nous savions que nous ne pouvions pas lui faire répéter deux fois la meme chose, on se lavait les mains et dans un fracas de discussions animées nous déjeunions sans trop attacher d'importance à l'élégance des gestes, après tout nous étions des durs et les durs ce n'est pas des "pédés".
Plus tard on aurait appris que eux aussi étaient des durs à cuire, que eux aussi avaient ramassé les balles perdues des faux-penseurs de charité, des faux culs de la bonne pensée, des maitres à voler la liberté, que eux aussi aimaient libérer leurs danses.
-Et nous?
-Vous qui?
-Nous, les supporters, le "bon peuple" comme disent certains copains intelligents, qui sommes-nous?
-Mais nous qui?, relis le début de ce texte, ici nous sommes tous appelés à nous confondre dans nos reves aussi modestes ou audacieux qu'ils soient.
Les reves sont toujours vains, aucune Samba collective ne peut effacer les Favelas de la géographie des ignominies, oui mais...
-Non, il n'y a pas de mais.
Il y a juste des sourires qui en disent long sur la joie de vivre au milieu de gens qui ne se ressemblent pas forcément mais se reconnaissent aux couleurs chaudes de leurs uniformes de fete.
Nous..., tiens mon interlocuteur me regarde d'une drole de manière, il se demande où je veux en venir, mon regard s'évade vers la chaleur de la Bossa Nova en ce moment.
-Ne me dis pas Nad que tu serais contente que le Brésil l'emporte contre la France.
Mais si, s'ils jouent propre, bien, s'ils savent sourire et nous faire sourire, s'ils savent nous faire rever leur coin de paradis sans lever le rideau sur la crasse des impassibles profiteurs de "bons peuples", des magouilleurs de publicité aux vapeurs lourdes de sueur sèche.
A eux il faudrait y penser, il le faut et le faudra, mais je ne sais que faire.
-Et nous?
-Nous, nous jouions petits les pieds nus sur des terrains de fortune...
... nous, nous nous sommes saoulés de mauvais coups, nous avons été réveillés par les mauvaises odeurs des Le Pen quotidiens, nous avons grandi en revant, nous faisons rever en grandissant, le Brésil n'est pas loin et on a envie de chanter, et de danser.
Et de gagner avec nos champions, derrière eux, devant, dans les banlieues qui se ressemblent ici et ailleurs les jours de fete, et nous on-va-ga-gner!