Mes yeux rougis par le manque de sommeil s’habituent à la clarté diffuse du jour naissant. André, Pat et René. Ils sont là. Le quatuor infernal, soudés l’un à l’autre, seul manque Jean-Phi, le cinquième doigt de « La main de fer sous le gant de velours » parti trop vite, trop jeune. Depuis nous quatre, c’est unis à la vie à la mort et ce depuis la maternelle. J’observe mes compagnons de galère, immobiles dans le silence pesant du petit matin. Sur leur visage se lit l’anxiété, le doute, les mêmes qui m’habitent devant l’incertitude des moments à venir.
L’approche n’en finit plus.
Les années passées ensemble nous avaient bien préparé. Chacun de nous s’était senti fin près et pourtant aujourd’hui, le jour du grand saut, le jour qui sans doute conditionnera d’autres lendemains, aujourd’hui nous voilà blottis les uns contre les autres, tels des mômes, profitant du refuge fragile que nous offre la brume matinale. Derrière ce voile, notre destinée.
Quel temps de chien !
Maintenant c’est une pluie fine qui vient nous sortir de notre fausse torpeur. On va finir par être trempés. Je rage mais l’idée du matin pluvieux- jour heureux me traverse l’esprit. Revigoré, je me dis qu’après tout ce jour ne sera peut être pas aussi terrible que ça. Un sourire s’esquisse au coin des lèvres de Pat. Il a du se faire la même réflexion. Ah les potes, y’a que ça de vrai. Nul besoin de mots entre nous, on se comprend. Un regard, tout est dit, surtout dans les moments importants. Face à l’épreuve, les quatre serrent les rangs, passent… et triomphent. Toujours. S’en était devenu notre devise, voyez, style mousquetaire.
Nous avançons encore et encore.
Chaque seconde écoulée nous rapprochait de l’inéluctable. Trop tard pour faire demi-tour et puis devant les copains on ne flanche pas. Pourtant je sais qu’André, le regard perdu à l’horizon, prie son dieu. René pense à sa mère (René pense toujours à sa môman). Pat, philosophe doit se demander ce qu’il pourra bien faire ce soir et moi, moi j’observe et me nourrit de leurs émotions.
C’est drôle, mais, les jours mémorables, voire historiques sont souvent d’une banalité pour ceux qui vivent l’évènement de l’intérieur. Un jour j’écrirai un bouquin là-dessus, enfin peut être un jour, en tout cas pas avant ce soir. D’ailleurs le moment n’est pas à la rêverie !
Cette fois çi nous y sommes.
Le voile de brume se déchire, la pluie redouble d’intensité.
Le moment tant attendu est là, maintenant.
Nos cœurs battent la chamade à l’unisson. Autour de nous, comme surgis du néant, le bruit, les encouragements, les invite. Joie, peur se mêlent en une symphonie boiteuse. Comme un seul homme, André, Pat, André et moi, nous relevons la tête, sans doute avec le même éclair de défi dans le regard. La détermination des vieux briscards se lit dans le moindre de nos mouvements, mais nous nous savons que c’est pour mieux dissimuler la trouille qui envahit nos entrailles.
La porte s’ouvre, une dernière hésitation vite effacée.
Encore un pas en avant. Et voilà, c’est parti.
Ouah la vache ! Trop top le collège, t’as vu comme c’est grand ! Et la cour de récré…