Ce que j'écoutais, ce que je guettais, c'étaient les mots : car j'avais la passion des mots; en secret, sur un petit carnet, j'en faisais une collection, comme d'autres font pour les timbres. Or, dans les " discours " de mon instituteur, il y en avait de tout nouveaux, et qui étaient délicieux : " damasquiné, florilège, filigrane ", ou grandiose : " archiépiscopal,
plénipotentiaire ". Lorsque sur le fleuve de son discours, je voyais passer l'un de ces vaisseaux à trois ponts, j'élevais la main et demandais des explications, qu'il ne me refusait jamais. C'est là que j'ai compris pour la première fois que les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images.
Mon père et mon instituteur encourageaient cette manie, qui leur paraissait de bon augure : si bien qu'un jour, et sans que ce mot se trouvât dans une conversation, ils me donnèrent " anticonstitutionnellement " en me révélant que c'était le mot le plus long de la langue française. Il fallut me m'écrire sur la note de l'épicier que j'avais gardée dans ma poche.
Je le recopiai à grand peine sur une page de mon carnet, et je le lisais chaque soir; ce n'est qu'au bout de plusieurs jours que je pus maîtriser ce monstre…
Avançant en âge, j'apprécie plus fort encore la richesse des mots; derrière les mots, il y a la vie, quelle richesse que la vie ! Ainsi je bois les mots, comme on s'abreuve à une source, pour vivre, aller plus loin et se donner tous les courages pour…donner un sens à sa vie.
C'est la plus grande richesse, celle qui, par le " mot " fait le lien entre les hommes ! Peu importe qui nous sommes, l'important
c'est de nous aimer tous avec nos différences, même en écriture, c'est cela la vie ! C'est ainsi que je conçois les mots. Parmi eux, le mot " éphémère " me surprit un jour…Il était là, couché à l'encre noire, il s'allongeait, languissait, rusé pourtant, j'avais sursauté en le découvrant sous la main.
E P H E M E R E, quel étrange mot dont la fin donne vie alors qu'il ne se donne qu'un jour à vivre, le temps d'un vol de papillon, dont on suit émerveillé l'aérien pastel dans le ciel clair ou le sourd bruissement des ailes velues du visiteur d'un soir. Dérangement sur le chemin d'un mot à vivre, l'espace d'un moment.
Je suis devant la page, éphémère présence devant l'éphémère mot. Ma plume est hésitante, oserai-je l'entrelacs pour enlacer ce mot et lui donner la vie, la longue vie des mots qui me restent en mémoire.
J'ai osé, mon coeur bat, lui le mot reste étonné que j'ai posé la main sur lui, mon rire l'a surpris sans doute rompant soudain le silence de la pièce, rire dont l'écho heurte le miroir, rebondit sur la cheminée, file vers la lampe : papillon !
Il vit le mot, il n'a rien d'éphémère, il est sur le papier, couché. J'ai fermé les yeux, heureux, demain en ouvrant le livre, je sais qu'il sera toujours là, de son regard je le caresserai, comme tant d'autres regards encore.
Ephémère traverse le temps, s'il se couche sur le papier, vous disiez éphémère ? Ce ne peut être le mot pour l'écriture.