LE FOL UNIVERS DE GASTON LEBRAVE
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LE FOL UNIVERS DE GASTON LEBRAVE


 
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 Histoire de donner des nouvelles

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Jaissi
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Jaissi
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MessageSujet: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeJeu 1 Sep - 2:32

Le roman.



Rien n’est plus terrifiant que de commencer un roman. Surtout quand on n’a rien à dire.
Où vais-je trouver la verve, le courage, l’éloquence et le talent pour noircir ces quelques deux cents pages ? L’idée d’écrire un livre est pour moi aussi incongrue que celle que manifesterait un moine tibétain en allant danser le french cancan au Moulin Rouge.
Et pourtant, je n’ai pas le choix. Ils m’ont enfermé dans cette pièce, sans fenêtre, avec pour seuls meubles : un lit, une chaise, une table. Sur cette dernière sont posés une vieille machine à écrire, un stylo, ainsi qu’une imposante liasse de feuilles vierges.
Leurs intentions sont claires ; mais pourquoi moi ? Je n’ai jamais brillé grâce à mon écriture, en fait, je n’ai jamais brillé du tout. je ne suis pas journaliste, et encore moins écrivain. Le commun des mortels, c’est moi.
Alors pourquoi ces trois hommes cagoulés ont-ils fait irruption dans mon appartement en plein coeur de la nuit ? Pourquoi m’ont-ils sommés de me lever, de m’habiller et de les suivre. Pourquoi m’ont-ils bandés les yeux après m'avoir fait monter dans cette traction noire ? Et d'abord... Pourquoi une traction noire ?
Les « pourquoi » s’accumulent, et je n’ai aucun « parce que » à leur opposer. Le point d’interrogation règne en maître dans ma syntaxe.
Mettez-vous à ma place... Oh, pas longtemps, juste le temps d’en faire l’appréciation : Vous dormez chez vous tranquillement, oublieux des désordres du monde. Une heure plus tard, vous vous retrouvez enfermé dans une pièce blafarde, éclairée au néon, et on vous donne trois jours pour écrire un livre. Pas brillant non?
Et oui. Avant de me cadenasser dans cette pièce, l’un des polichinelles m’a dit cette phrase autant sentencieuse qu’éloquente : « Si dans trois jours le livre n’est pas écrit... couic ! »
Inutile, je crois, de vous préciser que la nature du geste accompagnant ce dernier mot, je suis formel... rien à voir avec le baiser qu'on lance du bout des doigts.
L'éloquence de ce dernier argument m'a d'ailleurs fortement convaincu. "Couic". Voilà comment d'un mot on peut mettre à bas la plus savante dialectique. Il fallait assurément que je m'exécute de peur qu'ils n’en prennent eux-mêmes l'initiative.
Alors j'ai écrit. Oh, cela n'a pas été sans mal. Au début, les idées ne se sont pas bousculées au portillon de mon imagination. Mon stylo, se demandant curieusement quel genre de mots il allait écrire, planait prudemment, comme intimidé, à distance respectueuse de la feuille de papier.
A force de circonvolutions, il fit quelques approches en rase-mottes, des sauts de puces, des escarmouches, puis il se posa définitivement sur le papier, glissant sur lui comme un patineur surdoué, laissant la trace de son encre bleue s'étirer comme un fil infini...


Dernière édition par le Ven 2 Sep - 11:00, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeJeu 1 Sep - 9:53

Laisser l'initiative au stylo était-il la bonne solution?

Nous le saurons peut-être en lisant le prochain épisode....
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Renard
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeJeu 1 Sep - 14:12

Ca commence comme un vrai roman noir ! suggérons un titre : Paranoïa ?
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeVen 2 Sep - 11:01

Délit de sale gueule.



Les gens m'ont toujours détesté, je n'ai jamais compris pourquoi. Comment expliquer cette hostilité, cette défiance quasiment instinctive, cette antipathie viscérale qu'ils affichaient à mon égard? Si cette haine avait ses raisons, ma raison, elle, les ignorait.
La nature, dans sa grande bonté, m'a pourvu de deux bras, deux jambes et d'une tête, ce en quoi je la remercie, mais pourquoi fallait-il que cette dernière fut à claques?
Les claques. La vie ne m'en a pas privé. On m'en a administré pour un oui, pour un non, souvent pour un "peut-être"… Dans le doute...
Petit déjà, j'ai tôt fait de ressentir cette mystérieuse hostilité que manifestait à mon encontre la gent humaine. Je redoutais à l'école l'heure de la récréation qui me voyait souvent servir de punching-ball à mes "soi-disant" camarades de classe. En cours, ce n'était pas mieux. Combien de fois n'ai-je été choisi comme victime expiatoire par quelque professeur en quête de coupable. En dépit de tout bon sens, la vindicte se dirigeait invariablement vers moi. Combien de fautes non commises ai-je été purgé dans le bureau d'un proviseur au regard sévère, désapprobateur e t ô combien haineux?
Avec les filles, ce n'était pas mieux. Les paires de claques se sont multipliées, au sens propre comme au figuré. Comme tout adolescent, à l'heure des émois pubertaires, j'aspirai alors au premier flirt, aux premiers attouchements, bref, à la rencontre amoureuse avec une de l'autre sexe. N'écoutant que mes sens j'ai multiplié les assauts. Or, ce qui apparaissait comme tellement facile et naturel pour les autres me devint bien vite insurmontable. J'eus beau tenter d'effleurer la main ou de poser mon bras sur les épaules d'une quelconque que je convoitais. Rien n'y fit. Non seulement je n'arrivais pas à mes fins, de surcroît il n'était pas rare que mes pauvres tentatives soient taxées de perversions sexuelles.
Pendant que moi, je passais pour un dangereux satyre, les autres garçons, pour les même attentions, les mêmes gestes, finissaient par se pavaner avec leur conquête au bras. J'avais droit pour ma part à tous les refus, toutes les rebuffades. Elles m'ont toutes rejeté. Toutes. Même les plus laides.
L'âge adulte n'a rien arrangé. Le moindre entretien d'embauche tournait court assez rapidement. La plupart du temps mon interlocuteur, excédé, alors que je n'avais encore rien dit, me signifiait de quitter son bureau dans les premières minutes. La fin de non recevoir n'eut bientôt plus de secret pour moi. Il fallait pourtant que je mange, que je gagne ma vie.
Un soir, je me suis longuement regardé devant ma glace. Pas de doute, ai-je pensé, ce sont eux qui ont raison. J'ai eu comme une sorte de révélation à ce moment: j'avais vraiment une sale tête. J'avoue que j'ai eu du mal à me faire à cette idée, mais c'était une évidence. Plus je me regardais et plus je ressentais une espèce de dégoût pour cette face que me renvoyait le miroir.
J'ai commencé par m'en mettre une. Ah! Ca ne te suffit pas! me suis-je exclamé à mon encontre en me collant immédiatement une seconde claque sur l'autre joue. Puis une troisième, une quatrième, un direct au menton, un autre sur l'oeil, sur le nez, mes coups pleuvaient sur moi, je commençais à pisser le sang. En fait, je prenais un infini plaisir à démolir cette sale gueule qui avait été si contraignante. Finalement, pour compléter le tableau, je projetai violemment ma tête contre la glace qui se brisa sous l'impact.
Je suis sorti dans la rue dans le piteux état qu'on peut deviner. J'ai alors senti pour la première fois, dans le regard des passants comme une once de sympathie. Les choses étaient rentrées dans l'ordre, il y avait une justice: on avait enfin puni mon délit de sale gueule.
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeVen 2 Sep - 11:17

...je projetai violemment ma tête contre la glace qui se brisa sous l'impact....


cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne cogne
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeVen 2 Sep - 11:27

On peut dire que dans le premier épisode, on sentait une difficulté à communiquer mais ici la glace est rompue.
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeVen 2 Sep - 11:29

Peu importe si la glace est rompue, du moment que ça fait marrer la gallerie
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeVen 2 Sep - 13:16

CQFD, c'est un mur, ça, c'est pas une glace, t'as encore paumé tes lunettes dans le lupanar de Madame Mado.

Très agréable à lire, Jaissi, j'aime! bravo (Non, j'ai pas dit Jessie James, Lucky, rengaine tes colts.)

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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeDim 4 Sep - 4:00

L'ange gardien




Dehors il pleuvait des cordes. Un temps à se pendre. Une de ces journées inexorablement perdue et inutile qui vous laisserait perplexe et dubitatif pour peu qu'à ce moment vous éprouviez le besoin subit de vous interroger sur le sens de la vie. Je baignais dans ce climat de stress larvé quand le téléphone sonna.

- Bonjour, c'est Léonin! Entendis-je.

Je n'avais jamais connu de Léonin. Je ne souhaitais pas d'avantage en connaître, jugeant ce prénom particulièrement ridicule.

- Et qu'est ce que vous voulez que j'y fasse? Répondis-je sèchement.
- Plus rien, maintenant le mal est fait, lâcha tristement mon interlocuteur juste avant de raccrocher.

Je demeurais interdit durant quelques secondes avec le combiné à la main. J'avais à peine reposé celui-ci sur l'appareil que la sonnerie se fit de nouveau entendre:

- Oui? Fis-je, prudent.
- C'est encore Léonin, je ne vous ai pas tout dit...
- Ecoutez mon bon Léonin, je ne sais pas en quoi je puis vous être utile, ni ce que vous attendez de moi, mais je peux vous garantir que mon humeur maussade de ce jour ne prête aucune ouverture à la moindre fantaisie, aussi, je vous prie instamment, très cher, d’avoir la bonté de me lâcher la grappe!

Mon ton restait courtois, mais ma voix était ferme. Mes propos ne découragèrent en aucune manière mon interlocuteur qui reprit de plus belle:

- J'aimerais passer vous voir. Puis-je, maintenant?
- Pourquoi voulez-vous me voir? M'emportai-je, que me voulez-vous à la fin? Je ne vous connais pas moi!
- Vous êtes mon seul contact sur terre. J'ai besoin de vous rencontrer... S'il vous plaît.
- Votre seul contact sur terre? Pourquoi? Vous êtes un martien?
- Pas exactement... Je vais tout vous expliquer... Ne bougez pas, j'arrive!

Et il raccrocha. Je fis de même. Presque simultanément, on sonna à la porte. Quand j'ouvris, ce fut pour découvrir sur mon palier un être chauve et bedonnant. Il semblait transi de froid et se balançait sur ses jambes comme un gros oiseau mouillé.

- Bonjour, fit-il, je suis Léonin.
- Déjà? Et ben on peut dire que vous ne perdez pas de temps.
- Il m'est compté. Je peux entrer?

Je n'avais pas répondu qu'il était déjà au milieu de mon salon.

- Et en quoi puis-je vous être agréable monsieur... Léonin.
- Commencez déjà par me servir un whisky... bien tassé s'il vous plaît.
- Ben voyons!

Cependant, je m'exécutais, ressentant moi aussi le besoin d'avaler un petit remontant. Quand nous fûmes tous deux installés, nos verres en mains, je lui dis:

- Vous allez peut-être enfin m'expliquer...
- Ca va vous sembler difficile à croire.
- Essayez toujours.
- Et bien voilà: je suis un ange.
- Bon sang! Gémis-je, j'aurais parié que j’avais à faire à un dingue, j'ai gagné!
- Hélas non, détrompez-vous, je suis vraiment un ange, d'ailleurs, je peux vous le prouver. De plus, je suis même un ange très important pour vous, puisque je suis votre ange gardien.
- Ecoutez mon pauvre ami, vous n'avez pas besoin de me servir de telles fariboles pour me taper un whisky. Allez, finissez tranquillement votre verre et rentrez chez vous.
- Je m'appelle Léonin, et je suis votre ange gardien, répéta-t-il, autant campé sur mon canapé que sur ses positions.
- Et moi je vous dis que vous allez foutre le camp, grognai-je, sinon c'est moi qui vais vous mettre dehors! Un ange, un ange... et puis d'abord, vous n'avez même pas d'ailes.
- Ce ne sont pas les ailes qui font l'ange, répliqua-t-il finement tout en s'envolant et en allant tournoyer dans mon salon.

Je le regardais voler dans la pièce avec, vous l'entendrez, une certaine stupéfaction. Il avait l'air d'y prendre un réel plaisir. S'il est vrai qu'il réussit avec bonheur ses deux premiers loopings, le troisième lui fut fatal puisqu'il le vit rencontrer le lustre qui éclata sous l'impact de sa masse corpulente, et mon ange, car ce devait bien en être un, finit par s'écraser de la façon la plus lamentable sur le plancher.
Si ce n'était pas exactement comme ça que je m'imaginais le saut de l'ange, sa démonstration n'en restait pas moins convaincante. Même un yogi très expérimenté aurait eu du mal à acquérir une telle science de la lévitation. Certes, sa technique pêchait quelque peu, mais celui-là, c'était certain, n'appartenait pas à l'espèce humaine. Je dus bien admettre que j'avais là à faire, en tous cas, à un drôle d'oiseau. Comme je l'aidais à se relever, il me demanda de lui resservir un whisky. J'étais visiblement tombé sur un ange alcoolique.

- Alors comme ça, vous êtes vraiment un ange? Fis-je stupidement.
- C'est ce que je me tue à vous dire, mais vous, les humains, il faut toujours tout vous prouver, c'est fatigant à la longue, en plus, avec tout ce que j'ai ingurgité cette après-midi, je vous avoue que la voltige devient un exercice astreignant.
- Acceptez toutes mes excuses, mais reconnaissez que c'est surprenant, c'est la première fois que je rencontre un ange moi; et puis, entre nous, vous n'avez pas vraiment le look.
- Bien sûr, si vous vous fiez à toutes ces imageries religieuses dont on vous gave depuis toujours... Mais ça date... l'ange moderne n'a rien à voir avec tout ça, aujourd'hui, il est comme vous et moi.

Après quelques instants de silence méditatif sur ce que je venais d'entendre et de voir, je lui demandai d'un air faussement détaché:

- A propos, vous disiez être mon ange gardien?
- Oui, et c'est bien ça le problème.
- Mais encore? Demandais-je inquiet.
- Avez-vous remarqué la somme de déveine que vous avez accumulé durant toute votre existence?
- Ah! ça oui, j'ai remarqué. Comment faire autrement? Ca fait des années que j'encaisse les coups sans rien dire. J'ai la perpétuelle impression de payer une addition bigrement salée alors que je n'ai strictement rien consommé. Votre arrivée est providentielle, salvatrice, mais je ne vous cache pas que je n'aurais pas été fâché si vous étiez venu plus tôt.
- Mais mon pauvre ami, je suis là depuis le début. C'est bien là tout votre drame.
- Un petit instant, je ne saisis pas. Vous voulez dire que cette guigne qui me poursuit inlassablement depuis toujours, vous n'avez jamais pu la conjurer? Si j'ai bien compris, c'était un peu votre boulot non?
- Non seulement je ne l'ai pas conjuré, mais en plus, j'en suis en grande partie responsable, pourtant, je vous assure que j'ai fait ce que j'ai pu...
- Mais alors... vous êtes un mauvais!
- En effet, j'étais le dernier de ma promotion.
- Mince, c'est bien ma veine! Et il a fallu que je tombe sur vous...
- En fait, c'est moi qui vous suis tombé dessus, regardez autour de vous, vous n'avez pas été sans remarquer que d'autres s'en tirent très bien alors qu'ils ont certainement moins de qualités que vous.
- C'est juste... et alors?
- Alors ils ont des anges gardiens à la hauteur, voilà tout. Pour vous, la malchance a commencé le jour où votre destinée m'a été échue.
- Vous êtes un ange échu, ricanai-je un peu jaune.
- C'est très amusant, c'est la première fois qu'on me la fait celle-là, mais à votre place, je n'aurais pas envie de rire.
- Pourquoi?
- Parce que nous courons à la catastrophe, mon vieux! Je me sens devenir de plus en plus mauvais, et malheureusement, j'ai la pénible sensation que je n'ai pas encore donné toute ma mesure.

Au fil de notre discussion, je faisais le constat de ma vie qui n'avait été, il est vrai, qu'une invariable succession de cuisants échecs. J'avais toujours trimé, de façon laborieuse, voire besogneuse, néanmoins, cela ne m'avait pas empêché de rater tous les rendez-vous importants de mon existence: timoré, quand j'aurais dû foncer, d'une inconséquente témérité là où il eut mieux valu jouer de prudence. Je passais toujours à côté des choses; comme si une mauvaise étoile brillait en permanence au dessus de ma tête, et cette mauvaise étoile, elle était là ce soir, devant moi.
L'idée que ma vie ait pu être gâchée à cause de l'incompétence de cet être grotesque, bouffi d'alcool et avachi sur mon canapé, me devint soudain insupportable. L'envie fugitive d'étrangler ce bon Léonin traversa mon esprit, je l'avoue. Elle n'en fut chassée que par la présomption d'immortalité dont je le soupçonnais d'avoir la jouissance. L'ange dût lire dans mes pensées car il me dit:

- C'est sûr que vous auriez tout intérêt à vous débarrasser de moi, mais ce ne sera pas facile.
- Si vous êtes venu me voir, c'est certainement que vous avez une solution à me proposer? Emis-je avec espoir.
- En effet. Sachez que dans la hiérarchie céleste, j'ai gravi un à un tous les échelons, le problème, c'est que je les ai gravis à l'envers. Ca fait maintenant des siècles que je descends, et je suis, ce soir, au seuil d'atteindre l'échelon ultime, le dernier barreau de l'échelle, le plus bas : celui qui descend vers l'espèce humaine. Les hommes voudraient s'élever vers le ciel, qu'ils y viennent, je vous assure que la plupart des nôtres céderaient la place volontiers. En fait, les anges s'ennuient à mourir là haut, on ne le dit pas assez, le problème, c'est que mourir, ils ne peuvent pas. Ca n'a rien d'un camp de loisir! Vous comprenez, passer son temps à jouer de la trompette céleste et à clamer alléluia... ça va cinq minutes! Ah ça, je vous jure qu'on en a bouffé de la trompette et des alléluias! Mais une éternité, c'est fou ce que ça peut durer longtemps... Pfff! Vous pouvez pas imaginer!... Alors beaucoup d'entre nous en viennent à envier la vie d'un simple mortel, si fugitive soit-elle... mais une vie tellement... tellement vivante... Hips! Tiens, resservez-moi un verre de cet excellent whisky. Du pur malt non?

Je lui en servis une large rasade, puis lui demandais:

- C'est bien beau tout ça, mais que va-t-il se passer maintenant?


Ce qui s'est passé? Je vais vous le dire très précisément: Léonin m'a expliqué, à travers des propos de plus en plus hachés par l'ivresse, qu'à partir de ce soir il perdrait son statut. En quelque sorte, il enterrait sa vie d'ange. La législation du ciel étant très stricte, elle condamnait de façon définitive à la déchéance tout ange dont le taux d'alcoolémie dépasserait trois grammes. Concernant Léonin, il suffisait de le voir pour comprendre que l'affaire était entendue. Ainsi, un ange banni du ciel se transforme en humain. Il acquiert et se condamne, du coup, à la mortalité. Il m'assura que de ce fait, je pourrais désormais vivre plus sereinement. Ne l'ayant plus en permanence sur le dos, il était plus que probable que la chance, cette dame qui était toujours passée devant moi sans me voir, finirait enfin par me faire des sourires, va savoir, peut-être même quelques petites gâteries.
Quant à lui, il me demanda tout simplement en échange de l'aider à s'installer dans sa nouvelle vie d'être humain: lui avancer un peu d'argent, l'aider à trouver un logement, du boulot... tout ça quoi!

--------------------------------------------------------------------------------------------------

Ces faits se sont déroulés voici près de cinq ans. Aujourd'hui je suis marié avec une femme plus que charmante et j'ai deux ravissantes petites filles. Ma vie professionnelle est tout ce qu'il y a d'épanouissante et je n'ai pas à me plaindre de mes rentrées d'argent. De temps en temps, tonton Léonin vient dîner à la maison, il apporte toujours quelque chose pour les petites, elles l'adorent. Il n'est plus vraiment celui que j'ai connu: il a considérablement maigri, ses cheveux ont poussé, il porte des costumes bien taillés et travaille dans une boite qui s'appelle "l'Eden Club" en tant que chef barman. Cela ne s'invente pas.
Hier, il est venu nous présenter sa petite fiancée, une certaine Linda. Elle est belle et semble très amoureuse de lui. Léonin avait l'air heureux. Durant le repas, nos regards se sont croisés et nous avons eu du mal à ne pas réprimer un fou rire. C'est quand elle l'a appelé : mon ange.../
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeDim 4 Sep - 12:00

C'était Léonin le Wackin.

J'adore ton style, Jaissi. bravo
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeDim 4 Sep - 12:37

J'avais eu vent d'anges de cette sorte sévissant dans les caves coopératives après quelques verres, et maintenant ils carburent au whisky, comme l'ange Oliver?
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeDim 4 Sep - 13:22

On a beau avoir mauvais esprit, il faut bien admettre que la lecture de cette nouvelle est passionnante.
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeDim 4 Sep - 22:04

Que dire en plus, je m'épuise dans les compliments pour tes textes de cette veine, Jaissi.

Tes personnages tonitruants sont toujours un régal, comme toi !
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeDim 4 Sep - 23:27

Merci, merci, merci. Tous ces encouragements m'incitent à continuer de vous donner de mes nouvelles... Ce qui ne saurait tarder!
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeLun 5 Sep - 0:56

A mon tour de mettre mon bravo
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MessageSujet: Ombre   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeLun 5 Sep - 1:15

Ombre



L'homme s'appelait Alfredo Gomez. Il était l'unique policier d'un petit village à quelques kilomètres au sud de Mérida au Mexique. Avec sa longue tunique blanche, ses cheveux en broussaille, sa bouille mal rasée, sa vieille pétoire qui pendait à son ceinturon, et son sombrero, on l'aurait cru sorti tout droit d'un western de Sergio Léone.
Il se sentait bizarre. Peut-être avait-il un peu trop forcé sur la tequila ce soir là. Comme souvent à la fin du jour, il avait été écluser quelques verres chez Diamantino, le grand café de la place. Bien sûr, Maria sa femme allait un peu râler. Rien de très méchant, presque une coutume. Non, ce n'était pas cela qui l'inquiétait.
Le soleil du Yucatán, épuisé d'avoir tant donné, déclinait peu à peu cédant volontiers le pas à quelques rares lampadaires dispersés dans le village. Alfredo marchait seul dans la rue et se retournait souvent car il avait l'impression d'être suivi, mais il ne voyait jamais personne, hormis son ombre.
Décidément cette tequila qu'on servait chez Diamantino lui semblait plus corsée que d’habitude. Du genre qui joue des tours. Il avait beau tenter de se raisonner en se disant qu'il n'y avait vraiment aucune raison de s'alarmer, que tout était parfaitement normal... Mais pourtant, il en était sûr, ce soir, quelque chose d'inquiétant flottait dans l'air.
Cette impression se vérifia la dernière fois qu'il se retourna. Ce qu'il ressentit ne fut pas une présence, non, disons plutôt une absence. Effectivement, cette fois ci, son ombre n'était plus là.
En fait, il réalisa son absence quand il constata avec effroi que celle-ci s'était arrêtée quelques mètres plus avant sur le mur d'une maison. Il n'eut aucun mal à reconnaître cette silhouette familière, c'était bien la sienne, mais que faisait-elle si loin de ses bases? Autant effrayé qu'indécis, il resta paralysé quelques secondes puis, quoique conscient de l'absurdité de sa démarche, il fit quelques pas vers elle, comme pour aller la récupérer. Absurde, en effet. On endosse pas une ombre comme on vêt un poncho.
Planté devant le mur, il fit soudain un mouvement avec sa main. Mais l'ombre ne bougea point. Il leva ses bras, agita sa tête, avança, recula, gesticula désespérément dans tous les sens. C'est alors qu'il entendit:

- Te fatigue pas ! Tu me donne le tournis.
- Pardon? S'entendit-il répondre en regardant de tous côtés pour déceler l'origine de la voix.

De toute évidence il n'y avait personne. Enfin... presque personne. L'ombre -car c'était elle- reprit:

- Tu m'épuises bonhomme ! Ca fait des années que je te suis, à calquer tes moindres mouvements, je t'avoue que j'en ai ma claque. Alors je rempile.

Pantois, suffoqué, ébahi… tout ça quoi… notre bon Alfredo ne sut trop comment réagir devant cette ombre soudainement dotée de la parole.

- Mais... ce n'est pas possible! Bégaya-t-il.
- Tu vois bien que si, crétin!

Alfredo se signa. L'ombre, comme en réponse, lui fit un pied de nez. Peu à peu, dans l'esprit du policier, un sentiment de colère prit le pas sur la panique. Il n'allait quand même pas se laisser déposséder de son ombre comme ça sans réagir. Elle était à lui après tout. Lui, le gardien de l'ordre n'admettait pas ce soudain désordre qui allait à l'encontre de toute sa logique. Il se rappela alors qu'il portait à la ceinture ce qui faisait l'emblème de son autorité: son vieux pistolet. Il dégaina et intima d'une voix ferme:

- Les mains en l'air!
- Pitié! Ne me tue pas! Implora l'ombre, un rien moqueuse, en levant toutefois les bras.

La scène avait quelque chose de franchement surréaliste.

- Qu'est-ce qu'on fait maintenant? Ajouta-t-elle.
- On ne bouge plus! Répondit-il, pour gagner du temps, tout en se torturant l'esprit pour tenter de trouver une solution à cette situation aussi embarrassante qu'insensée.
- Non, décidément, reprit l'ombre, tout ça ne m'amuse plus. Je préfère m'en aller.

L'ombre commença effectivement à s’éloigner en glissant sur le mur.

- Tu ne peux pas me faire ça? Se lamenta Alfredo, tu es à moi, tu dois me rester fidèle... c'est bien connu qu'une ombre est fidèle...

L'ombre s'arrêta le temps de lui déclarer:

- Les autres, elles font ce qu'elles veulent. Toutes ces années à te suivre comme... comme... comme ton ombre, justement, elles commencent à me peser. Je suis fatiguée de singer tes moindres mouvements, de mimer ta petite vie étriquée et ridicule, j'ai d'autres ambitions, ce n'est certainement pas avec toi que je trouverai ma place au soleil, alors... tchao...!
- Un pas de plus et je tire! Fit Alfredo apeuré.

Mais l’ombre ne l'entendit pas, ou fit la sourde oreille. Elle continua de raser le mur en atteignant déjà presque l'extrémité. Fou d'une rage impuissante, le pauvre Alfredo se mit à canarder sauvagement la façade en essayant de l'atteindre.
Ce faisant, ameutée par le boucan, une foule de villageois s'était peu à peu massée derrière lui. Un paysan, un peu plus téméraire que les autres, finit même par se rapprocher au point de le ceinturer. Cela donna du courage aux autres, et on eut tôt fait de maîtriser celui qui apparaissait déjà pour tous comme un dangereux forcené.

……………………………………………………………………………………

Si son ombre court toujours, Alfredo quant à lui fut enfermé dans un asile de Mérida. Aux dernières nouvelles, il y serait toujours. Sa famille, ses proches, vont parfois le voir, mais ils se rendent assez vite à cette cruelle évidence, qu'il n'est plus maintenant que l'ombre de lui même.../
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeLun 5 Sep - 9:32

Lucky Luke avait aussi des soucis avec son ombre.
Il est dans le même asile?
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeLun 5 Sep - 10:28

C'est plutôt son ombre qui avait des soucis avec lui. Des problèmes de synchro je crois...
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeMar 6 Sep - 0:57

bravo

Peter Pan avait aussi le même genre de mésaventure avec son ombre, mais il a fini par la récupérer.
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeMar 6 Sep - 1:14

Plus habile que mon Alfredo sans doute.
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MessageSujet: Femme fatale   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeMar 6 Sep - 1:48

Femme fatale

Tout a commencé un dimanche de juin pluvieux. A peine avais-je ouvert mes volets ce jour là que ma seule hâte fut de les refermer: L'air était chargé d'une lancinante morosité frisant le désespoir. Les lourds et implacables nuages noirs qui avaient investi le ciel ne m'inspirèrent d'autre idée que celle d'aller me recoucher.
Hélas, je n'avais plus sommeil. Ma gueule était de bois, conséquemment aux frasques de la veille qui m'avaient fait rentrer au petit matin dans un état, je l'avoue, peu digne.
Enfermé, bien à l'abri chez moi, emmitouflé dans ma robe de chambre en laine épaisse, je décidai, après une longue concertation avec moi-même, de me lancer dans une opération "café", le temps que l'affaire se tasse.
Ce fut à ce moment que retentit la sonnette d'entrée. A vrai dire, je n'attendais et n'avais envie de voir personne. Je m'apprêtai à envoyer paître poliment, mais fermement, le probable tapeur que je pressentais derrière ma porte. Ce fut donc d'un geste décidé que j'ouvris, affichant d'avance sur mon visage tous les traits austères et contrits de la négation.
Pourtant, je ne pus prononcer un mot. Je fus happé, littéralement paralysé par la vision que j'eus alors: il ne s'agissait, ni plus et surtout pas moins, que de la plus belle femme de l'univers.
Permettez-moi, s'il vous plaît, de ne pas tenter de vous la décrire. Les mots seraient de bien piètres pinceaux pour peindre cette réalité là. Une réalité qui, pour cette fois, reléguait le rêve aux oubliettes.
Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'ai frôlé l'attaque cardiaque quand j'ai croisé ses yeux. ; c'est aussi que j'ai manqué d'étouffer tant j'avais le souffle coupé par la vision des courbes de son corps. Des courbes qui auraient inspirées aux filles de Play-Boy l'idée pressante d'aller se rhabiller. Cette femme ruisselante de pluie sur mon perron était d'une beauté démesurée, infinie, j'ose le dire: divine.
Son visage s'éclaira encore d'avantage -comme si c'était possible!- quand elle me sourit et me susurra:

- bonjour...

L'intonation était chaude, un timbre suave et musical auquel je ne repense pas sans avoir le dos parcouru de frissons.

- Bon... bonjour... ânonnai-je dans un souffle, de peur de casser le charme et de faire disparaître la sublime apparition.
Je ne sais pas combien de temps dura le silence qui suivit ce savoureux dialogue. Dix secondes, trois minutes... un mois peut-être? J'avais l'impression d'être hors du temps, mes yeux prisonniers dans les siens.
Ce fut elle qui reprit la parole. Elle me dit alors cette phrase étonnante:

- Vous ne pensez pas qu'on a perdu assez de temps?

J'ai avalé péniblement ma salive, mon coeur battait au pas de charge. Je redoutais de prononcer le moindre mot de peur de passer à côté de ceux qu'elle attendait de moi. Je décidai donc de limiter les risques en répondant simplement:

- Si, si... bien sûr...bien sûr...
- Ca fait trop longtemps, n'est ce pas? Reprit-elle d'une voix un peu plus pressante.
- Assurément, il est grand temps, déglutis-je, cramponné à ses lèvres.
- Alors venez! Plus une minute à perdre.
- Mais je...
- Venez!
- Oui... Je viens...

Son ton, s'il était doux, n'admettait pas la réplique. Ca tombait bien, puisque je n'en avais aucune à lui servir. De toutes les façons, elle s'était déjà retournée pour partir. J'ai bien compris que, si je ne voulais pas la perdre, je devais la suivre, et tout de suite.
C'est ainsi que je me retrouvais quelques instants plus tard, en robe de chambre et en pantoufle, marchant dans le jour noir, trempé de pluie, à suivre une femme que je ne connaissais pas,.
Elle, semblait insensible aux intempéries. Sa démarche restait gracieuse au point qu'elle donnait l'impression de glisser sur le sol.
Il en allait autrement pour moi: Je luttais, pour la suivre, contre les éléments déchaînés. Le vent me fouettait le visage et la pluie imprégnait jusqu'à la moindre parcelle de mon corps. De plus, mes charentaises n'étaient pas du tout adaptées à l'état du terrain inondé de flaques géantes sur lesquelles je manquais plus d'une fois de m'étaler.
A vrai dire, je n'y attachais que peu d'importance, me contentant d'avancer derrière la silhouette aux contours parfaits qui me guidait comme un phare dans ce crépuscule englué de ténèbres. Tout ce qui m'importait, c'était de ne pas perdre des yeux cette ombre blanche qui m'entraînait vers je ne sais quel hasard.
Du temps passa. Nous arrivâmes aux abords d'un étrange pont de bois sculpté qui enjambait la Seine, et que je ne reconnus point. Elle s'arrêta alors et se retourna vers moi.

- Nous y voilà, me dit-elle.

Quand ses yeux m'enveloppèrent, je ressentis une telle émotion qu'elle aurait pu me proposer de sauter avec elle dans la Seine que je l'aurais fait sans réfléchir. Ce fut d'ailleurs justement ce qu'elle fit.

- Allons y! Me dit-elle en franchissant lestement l'appontement.

Elle laissa couler vers moi un dernier regard qui me submergea comme une vague et, sans ajouter un mot, se retourna et plongea dans les eaux noires.
Sans me poser plus de questions, j'allais pour la suivre quand une voiture avec gyrophare s'arrêta à ma hauteur. Deux policiers en descendirent prestement et me saisirent alors que j'escaladais la rambarde.
J'eus beau invectiver, me débattre, tenter d'expliquer que je ne voulais pas me tuer, bien au contraire. Rien n'y fit. Les hommes me ramenèrent à ma vie. Cette vie qui ressemblait pourtant tellement à une petite mort.

J'ai longtemps cherché ce pont de bois sculpté, je ne l'ai jamais retrouvé. J'ai longtemps attendu qu'elle revienne, elle n'est jamais revenue. Pourtant, certains soirs d'hivers, alors que les longues heures s'égrènent et que le froid glace la ville, il me semble entendre sa voix qui m'appelle mêlée au frémissement du vent. Alors j'ouvre ma porte, j’écoute et je scrute les ténèbres, mais il n'y a jamais personne. Je ne vois que le vent.../
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeMar 6 Sep - 6:27

L'étrange attrait du néant, c'est superbement rendu!
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeMar 6 Sep - 9:11

Ce récit édifiant démontre, s'il en était besoin, que le taux d'alcoolémie ne diminue que très lentement les lendemains de murge.
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MessageSujet: le "sans cageot"   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeMer 7 Sep - 16:12

Le sans cageot.





Le réveil avait sonné. Derrière mes paupières closes, se livrait un délicieux combat. J'essayais de lutter contre le bercement où m'attiraient les eaux profondes du sommeil. Il aurait été tellement facile de s'y engloutir à nouveau.
La volonté, le sens du devoir, le soucis des responsabilités l'emportèrent finalement, et d'un effort suprême, je parvins à m'arracher de la chaleur douillette de mon lit.
Il était cinq heure du matin. Café, lavé, rasé…Une heure plus tard, j'étais sur le pas de ma porte, prêt à sortir. C'est d'ailleurs ce que je fis.
La rue était encore déserte. L'air sentait bon le printemps et les oiseaux, déjà au turbin s'en donnaient à coeur joie.
Je travaillais de l'autre côté de la ville. Je me dirigeais donc d'un pas hâtif vers le métro quand je croisai mon premier passant. Ce ne fut pas le fait qu'il portât une espèce de cageot sur l'épaule gauche qui m'interpella, mais la singulière impression qu'il me dévisageait bizarrement, presque avec effroi, au moment où j'arrivais près de lui.
Je n'en fis pas cas, cataloguant l'individu au rayon des allumés rentrant d'une nuit de beuverie.
Un instant plus tard, j'infiltrais mon ticket dans le composteur juste derrière un ouvrier en bleu de travail qui, chose curieuse, était lui aussi affublé d'un cageot sur l'épaule gauche. Il se retourna quand il m'entendit passer le portillon automatique. Je jurerais qu'au moment où il me dévisagea, ses yeux reflétèrent une stupeur teintée d'angoisse, mais il détourna la tête rapidement et continua son chemin en pressant le pas.
J'entendis alors le vrombissement du métro qui arrivait à la station. Descendant lestement l'escalier, j'arrivais au moment où les wagons déversaient sur le quai les premiers flots des voyageurs du quotidien. Il n'y avait là rien que de très banal, à un détail près: ils maintenaient tous à l'aide de leurs bras gauche des cageots sur leurs épaules. Certains, ceux qui m'aperçurent, me fixèrent avec des yeux interdits, parfois désapprobateurs, souvent horrifiés, comme si j'étais atteint de quelque maladie incurable et contagieuse de surcroît.
Difficile de vous expliquer ce que l'on ressent dans ces moment là. J'avais comme l'impression d'être à la fois, acteur et spectateur d'une mauvaise pièce dont l'intrigue m'aurait échappée. Les questions s'amoncelaient dans ma pauvre tête: Pourquoi ces gens me considéraient-ils avec tant d'appréhension? Et surtout… surtout… que signifiaient tous ces foutus cageots?
Je suis alors monté comme un automate dans un des wagons. Mon entrée fut salué par un murmure houleux. Quelques voyageurs, disséminés dans la voiture, cageot bien engoncé sur l'épaule, me considéraient comme si le diable en personne était descendu dans le métro parisien.
Excédé, je ressortis vivement, juste avant la fermeture des portes. Si c'était un cauchemar, il fallait y mettre un terme; j'allais sûrement me réveiller. Oui, mais quand?
De retour à l'air libre, je constatai avec plaisir que le soleil était toujours là. Le jour prenait peu à peu ses quartiers et tout semblait normal. J'en étais à me dire que mon affolement était certainement dû à la fatigue, j'avais trop forcé ces derniers temps et le besoin de vacances se faisait cruellement sentir. J'étais alors cadre commercial dans une grosse imprimerie et le carnet de commande ne désemplissait pas.
Allons! M'encourageai-je, il fallait maintenant réagir, on allait m'attendre à mon travail, trop de gens dépendaient de moi.
Je m'apprêtais donc à repartir d'un pas décidé quand un passant passa, ce qui était tout à fait normal de part sa fonction. Ce qui l'était moins, c'est qu'il était affublé d'un de ces maudits cageots qui, je dois bien le dire, commençaient à me sortir par les yeux. La voix troublante de colère, je l'apostrophai:

- Eh, vous là-bas... Pouvez-vous me dire ce que tout ça signifie? Où allez vous avec ce cageot sur l'épaule?

L'interpellé me dévisagea, les yeux ronds comme des billes, visiblement épouvanté. En guise de réponse il prit la fuite, m'abandonnant à ma perplexité.
Il se passait manifestement quelque chose qui échappait à mon entendement. Qui était fou, moi ou eux? Bien-sûr ils avaient la loi du nombre et la petite minorité que je représentais à moi tout seul m'inclinait à penser que c'était sans doute moi qui déraillait.
J'en étais là de mes réflexions quand une voix aux inflexions sévères se fit entendre dans mon dos:

- "Alors... comme ça on se promène sans son cageot?"

Cloué sur place, je ne me retournai que très lentement redoutant la nouvelle aberration à laquelle j'allais sans doute être confronté.
Je me retrouvai nez à nez avec deux policiers à la mine menaçante. Est-il nécessaire de préciser qu'ils portaient chacun un cageot sur l'épaule? L'un des deux fit un pas vers moi avec précaution.

- On peut savoir où est votre cageot?
- Ecoutez monsieur l'agent... je ne comprends pas...
- Où est votre cageot? Reprit-il d'un ton plus menaçant.
- Mais... je n'ai pas de cageot, m'emportai-je soudain, je n'ai jamais eu de cageot, et je me tape de vos cageots! Vous allez me rendre dingue à la fin! Allez-vous m'expliquer...
Pendant que je m'insurgeais haut et fort, je m'aperçu que les policiers ne m'écoutaient plus et avaient entamé entre eux une discussion, à croire que je n'existais plus. L'un dit à l'autre:

- C'est un sans-cageot
- Ca m'en a tout l'air.
- Vous connaissez la loi sergent...
- Et oui... elle est dure… mais c’est la loi…fit l'autre en dirigeant lentement mais sûrement sa main vers la gaine de son revolver.

Je ne dus d'avoir la vie sauve qu'à une sorte d'instinct qui me prévint qu'il allait me falloir courir vite, très vite. Je fis un bond et détalai en zigzag, alors que les policiers, le premier moment de surprise passé, avaient dégainé et me tiraient maintenant comme un canard. Heureusement, ils tiraient mal, et j'étais déjà loin. S'ils tentèrent de me courser, la spontanéité de ma fuite conjuguée au handicap occasionné par le port de leurs cageots dut les décourager.
Je ne sais pas combien de temps j'ai couru. Je me suis arrêté essoufflé sous un porche dans une petite rue déserte. Une porte s'ouvrit derrière moi. Une grande femme élégante et belle sortait d'un immeuble tenant par la main un petit garçon. De l'autre, elle soutenait un cageot. L'enfant en portait un lui aussi, mais plus petit, proportionné à sa taille. J'entendis le gamin s'exclamer:

- Oh maman regarde, le monsieur... il n'a pas de cageot...

Quand la femme m'aperçut, elle eut d'abord un mouvement répulsif, puis tira prestement son fils vers elle, comme pour le protéger de moi. Elle détourna son regard, puis s'éloigna hâtivement en traînant son bambin.
Là, j'ai cogité. Il fallait maintenant me rendre à l'évidence. Ce monde avait beau me paraître absurde, il représentait bel et bien la réalité. La situation me semblait désespérée je n'y voyais aucun échappatoire,. Le cul de sac, l'impasse, le trou noir. Je n'arrivais à imaginer aucun recours. J'aurais bien-sûr pu envisager de joindre des proches, mais existait-il encore des gens sans cageot en ce monde? J'allais leur paraître incongru, ils allaient certainement me rejeter, pire, me dénoncer. Je me suis dit alors que la seule solution, la plus sage en tous cas, consistait à tenter de fuir la ville. Des recherches allaient sans doutes être menées à mon endroit. De plus, les rues s'animaient dangereusement et je commençais à voir de plus en plus de gens circuler sur les trottoirs.
C'est en rasant les murs que je me retrouvais, un peu plus tard, à la périphérie de la cité sans, je le pense, avoir été trop repéré.

--------------------------------------------------------------------------------------------------

Je ne sais plus depuis combien de temps a débuté le cauchemar. J'ai pris le maquis comme un reclus. Je n'ai plus de maison, je n'ai plus de travail, je n'ai plus d'amis. Je vis dans les bois qui bordent la ville.
Quelquefois, j'aperçois de loin quelques compagnons de misère, des "sans cageot" qui errent comme moi dans les campagnes. En général, nous nous évitons car un sentiment de honte nous submerge, les uns étant les miroirs des autres.
La nuit, il m'arrive de faire quelques escapades en ville pour y chercher de quoi me sustenter. Il est certains endroits, louches et malfamés la plupart du temps, où l'on accepte de nous vendre quelques denrées, mais vous n'imaginez pas avec quel mépris on nous les tend, et à quel prix on nous les vend. Il est vrai que c'est complètement illégal.
C'est un vrai mystère, mais ma carte de crédit fonctionne encore et je peux, quand la ville dort, retirer de l'argent sur mon compte. Celui-ci était heureusement abondamment fourni. Mais je sais qu'il n'est pas inépuisable...
Bientôt je n'aurai plus rien. Je suis seul et condamné au plus noir désespoir; je sens que je ne pourrai pas continuer à vivre longtemps de cette façon là. Je ne sais pas encore comment je vais m'y prendre mais... il va bien falloir que je trouve un moyen de me procurer un cageot.../
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MessageSujet: Re: Histoire de donner des nouvelles   Histoire de donner des nouvelles Icon_minitimeMer 7 Sep - 18:54

Jaissi n'a pas de cageot! cogne

Comment a-t-on pu l'accepter sur ce forum?

Gaston! Fais quelque chose!






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