L’inspecteur Naej grommela quelques mots inintelligibles et tira longuement sur la cigarette qu’il venait patiemment de rouler.
- Ce type se fout de ma gueule pensa-t-il ! Je suis sûr qu’il est dans le coup, il faut que je trouve un truc pour le piéger !
Guoguenard, Ydel l’observait derrière ses lunettes, son sourire ne laissait pas percevoir la moindre inquiétude.
- Vous dites que Tograf vous a quitté vers la fin d’après midi. Quelle heure était-il précisément ?
- Je n’en ai pas la moindre idée inspecteur, j’était plongé dans mes caricatures. Il est passé me serrer la main, m’a remercié pour l’accueil et la journée passée ici, puis il est parti.
- Il n’a rien dit d’autre ?
- On a échangé quelques mots. Il m’a dit qu’il était ravi de sa journée. Ah oui ! il a sympathisé avec plusieurs de mes collègues, qui ont dessiné des cochonneries sur la nappe pendant le repas !
- Quel genre de cochonnerie ?
- Ben, j’ose pas le dire, inspecteur… euhh, un appareil photo avec un phallus en guise d’objectif !
- Une bite vous voulez dire ?
- C’est ça inspecteur !
- Quoi d’autre ?
- Il a tiré le portrait de la plupart des artistes présents, ils avaient l’air content du résultat.
- Il a rien tiré d’autre ?
- Ben, faudrait demander à Olga, qui organise le salon !
- Bon, ça va ! Vous savez où il se rendait ensuite ?
- Oui, il m’a dit qu’il allait rendre visite à son frère à Lorient, grand spécialiste de la pêche à la mouche.
La pêche à la mouche ! Naej détenait un indice ! il ne tarderait pas à coïncer Tograf et restait persuadé de la complicité d’Ydel.
Il sorti son téléphone portable et composa un numéro.
- Salut Marquise. Il me faut les coordonnées d’un certain Raymond Tograf, habitant Lorient. On sait qu’il est spécialiste de la pêche à la mouche.
- Je vous ai ça dans les 5 minutes, jeta la Marquise !
Naej savait déjà ce qui s’était passé après le passage de Tograf à Lorient.
Ce dernier lui avait téléphoné pour le prévenir de son arrivée imminente.
Ils s’étaient donné rendez-vous dans un vieux quartier de Quimper, près d’un marché, à l’heure de l’apero.
Ils avaient ensuite déjeûné dans un sympathique bistrot où Naej avait ses habitudes.
Le patron du bistrot avait même saisi l’appareil de Tograf pour fixer la scène.
Puis ils étaient allés faire une ballade le long de la côte, arpentant les plages de sable fin. Tograf mitraillait sans cesse.
- Ce type a un appareil photo greffé au bout du bras, s’était dit Naej.
Il appréciait cette balade, après quelques moments d’incertitude dûe au fait qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés auparavant .
Ils avaient même fait les fous à courir après des vols d’oiseaux pour les faire décoller de leur rocher, comme de vrais gamins.
Avant de le laisser partir, Naej avait insisté pour qu’il prennent un dernier verre chez lui, puis Tograf avait repris la route pour la Bourgogne.
- On ne sait pas ce qu’il a fait ensuite, avait répondu la Marquise. On pourrait peut-être questionner Pascal, il connaît bien les lieux !
Mais Naej ne souhaitait faire trop de publicité autour de cette affaire. Si la Gazette s’en emparait, il risquait d’être l‘objet de raillerie, et ça ne serait pas bon pour sa carrière.
Il décida donc de classer provisoirement l’affaire.
Il serait toujours temps de la rouvrir.